
L'émission, à la fois sobre et gaie, est diffusée le 25 janvier, sur Antenne 2, six mois après la mort de Berger. Personne ne s'étonne du sourire de France. Tant chacun sait ce qu'il sous-tend d'énergie et de rage de vivre.
Pour le magazine Elle, en février, France Gall accepte de rompre son silence. « Continuer, je pense que je n'avais pas le choix. Ne rien faire, m'arrêter, ça m'aurait donné des regrets. Ça m'oblige à être occupée. Mais tout ça, ce sont de mauvaises raisons. L'unique raison, c'est que j'ai envie de le faire, c'est tout. Moi qui ai peur de tout, la seule chose qui ne me fasse pas peur, c'est d'aller chanter devant les gens. C'est un rendez-vous d'amour, ce n'est que de l'amour à prendre et à donner. (...)»
Elle évoque également sa décision de remonter sur scène. « Je suis pratiquement sûre que j'ai décidé de faire Bercy très vite après la mort de Michel, et même si je ne l'ai formulée que trois mois plus tard, l'idée m'est venue très vite. Ne pas enterrer cet album, ne pas enterrer ces chansons. Les faire vivre. »
Bercy : un paradoxe ! Car pour témoigner de Michel, rien n'est trop beau, rien n'est trop vaste. Aucun défi n'est plus exaltant que de tenter de remplir la salle la plus grande de l'Hexagone. Cela, France veut se le prouver à elle-même. Elle désire réunir dans l'amour le plus de gens possible.
Elle se lance à c½ur perdu dans la bataille. Choisit ses six musiciens, conçoit, pour la première fois seule, les décors, et sélectionne les orchestrations. «Je n'avais jamais rien fait toute seule. J'ai toujours eu besoin de l'intelligence des autres. Je m'étais toujours laissé porter. Surtout pour les spectacles. Je n'ai jamais eu besoin de l'ouvrir, puisque j'avais quelqu'un qui me ressemblait tellement qu'il disait les choses avant moi. Quelqu'un qui avait une énergie extraordinaire, qui s'occupait de tout... Là, qui pourrait être mon regard ? On était deux, et plus que deux même, parce que moi, je comptais pour une, et lui pour neuf ! (...) Je n'avais jamais eu une idée, même dans le choix des musiciens, même dans la liste des chansons qu'on fait sur scène. Je n'avais jamais eu besoin de le faire moi-même. (...) C'est lent, c'est beaucoup plus lent qu'avant, je prends mon temps, mais je suis contente de mes choix. Je suis entourée de grands professionnels, et ça avance. J'arrive à avoir une idée de ce spectacle. Je sais dans quel esprit je vais le faire, comment je vais entrer en scène, comment je vais en sortir, ce que je vais mettre dedans. Ma force, c'est peut-être tout ce que j'ai emmagasiné en silence, mais sans souffrance. Un silence voulu, contente d'être en silence. En fait, je me rends compte que je n'ai pas arrêté d'apprendre. » Pourtant, alors que tout se prépare, alors que toute une semaine a été retenue, du 1er au 6 juin, France Gall doit renoncer à Bercy. Ordre médical : elle souffre d'un cancer du sein.
L'information bouleverse à nouveau le pays. Ce sort qui s'acharne est monstrueux d'injustice.
France ignore encore l'étendue du mal. « Quand on vous dit cancer, on pense tout de suite qu'on va mourir. Et là, je me suis effondrée. C'était insupportable à cause de mes enfants. Je n'ai pas hurlé parce que j'étais entourée de médecins. Mais pour la première fois, j'ai parlé à Michel. Je lui disais : "Pourquoi m'as-tu abandonnée ?" » La presse s'emballe ! Un florilège de couvertures alarmistes inquiètent le public. Heureusement, la providence veille. Après un traitement assumé avec beaucoup de courage, France guérit de son cancer. Définitivement. Elle a eu très peur, mais « le petit caporal » a su vaincre. Et peut annoncer fièrement les sept nouvelles dates de son spectacle de Bercy : les 10, 11, 12, 22, 23, 24 et 25 septembre 1993.
« Au moment où j'ai dû annoncer que j'étais atteinte d'un cancer, la plupart des articles ont été négatifs, dramatisant, ignorant les informations encourageantes. Comme si ceux qui font les journaux, pensant que leurs lecteurs ont besoin de savoir que les gens souffrent, en rajoutent à plaisir, enlaidissent, bafouent, trichent, salissent. Peut-être certains lecteurs ont-ils ce besoin, puisque ces magazines se vendent bien ? Moi, je suis quelqu'un de positif. D'un malheur, d'une souffrance, d'un problème, je tire instinctivement une force nouvelle. »
A côté de cette presse qui colporte les rumeurs, France se souvient de l'abondant courrier d'encouragement reçu dans l'épreuve. Des lettres de femmes, souvent, et différentes de sa correspondance habituelle. Les lettres qui lui arrivent par centaines, dans son appartement parisien du VIIIe arrondissement, sont écrites, cette fois, par des femmes de sa génération. Et non plus seulement par des jeunes de moins de vingt-cinq ans. Sous les grandes baies qui s'ouvrent généreusement vers le ciel, au milieu des toiles aux couleurs vives, elle prend le temps de tout lire. L'émotion est là.
« Il y avait une grande tendresse dans ces lettres. (...) J'ai perçu une reconnaissance de moi, femme, en tant que telle. Or, je n'avais jamais vraiment pensé à moi en ces termes : à mes yeux, j'étais la mère de famille, l'épouse, la chanteuse. Cela va vous faire sourire : je me suis sentie une Française, parmi les Françaises. Une femme parmi les femmes. Je me suis aussi rendu compte à travers ce courrier à quel point les femmes pouvaient s'entraider. A quel point les femmes aimaient les autres femmes. Ça m'a beaucoup touchée »
C'est une nouvelle France qui met le siège sur Bercy. Transformée, elle ne s'est jamais sentie davantage elle-même. Plus aucun garde-fou ne contrarie son désir d'assumer seule son destin. Bercy sera à sa seule image.
Pauline et Raphaël sont pour beaucoup dans la réussite du pari fou de Bercy. A leur tour, ils ont su soutenir leur mère. « Ils n'avaient pas un papa comme tout le monde, et le mur de caméras et d'appareils photo, au cimetière, les a fait basculer du jour au lendemain dans un univers public. On n'y peut rien, même si on ne le désire pas. Et maintenant, c'est trop tard. Au début, ils ne voulaient pas que je fasse ce spectacle, car ils avaient peur pour moi. Ils pensaient que je n'y arriverais pas toute seule. J'ai voulu les sécuriser, en les emmenant aux répétitions avec les musiciens, en leur faisant partager beaucoup plus de moments professionnels et en les impliquant davantage. Ils ont d'ailleurs une vision très juste de ce qu'il faut faire ou pas. J'ai gagné leur confiance, je crois. De toute façon, je n'aurais pas pu faire tout ça sans eux»
Pour Pauline et Raphaël, la mort de Michel a fait de France une mère plus que maman, devant assumer une multitude de responsabilités supplémentaires. « Parfois, le soir quand je rentre chez moi, je m'aperçois que je suis seule dans la rue, que c'est moi dont les enfants guettent le bruit des clés qu'on pose sur la table d'entrée. Je suis devenue le chef de famille. Je vis une vie d'homme. C'est ainsi, je n'ai pas le choix. »
France n'a pas voulu, loin de là, que Bercy ressemble à une veillée funèbre. « Si certains viendront voir la veuve de Michel Berger, j'espère qu'ils sortiront en ayant vu France Gall . » Pour que le spectacle soit réussi, elle a demandé à ses musiciens de se donner au maximum. « Avant de travailler avec l'équipe qui est avec moi sur et autour de la scène, et qui travaillait avec nous depuis longtemps, j'ai demandé à chacun de me donner ce qu'il n'avait jamais donné à personne auparavant. Ils l'ont fait. ».
Fatima C, Posté le lundi 28 juillet 2014 13:47
On sans douté !